“Le médecin m’avait conseillé de prendre au moment du départ un peu trop de bière ou de cognac, afin d’être dans un état qu’il appelait «euphorie», où le système nerveux est momentanément moins vulnérable.”
Marcel Proust, A la recherche du temps perdu, A l’ombre des jeunes filles en fleurs
C’était presque toujours le mercredi. Après la douche, le pyjama et les cours de piano. Les crêpes. D’abord la soupe, après les crêpes. On a pourtant souvent essayé de négocier, en vain. On faisait les andouilles à table avec Lulu. Lulu c’est ma sœur, elle s’appelle Lucile, mais Lulu c’est plus mignon, Alors je l’appelle toujours comme ça. On faisait les andouilles parce qu’on était contentes. ça sentait le beurre fondu, la cassonade et le chocolat. On se battait pour avoir la crêpe de la poêle et pas celles déjà préparées à l’avance. On mangeait avec les doigts, ça coulait partout parce que contrairement à ce que Maman disait nous on préférait les rouler et du coup on en mettait partout. Mais pliées en 4 ça n’avait pas le même goût. On mangeait vite, et beaucoup, et comme on riait comme des folles on avait souvent mal au ventre. Et souvent on allait se coucher en boudant les mercredis soirs.
C’était dans la grande maison, celle avec le jardin, le parquet ciré, et la grande table ronde dans la cuisine.
Plus tard on a continué à faire des crêpes. Mais c’était plus la même maison. Et c’était plus toujours le mercredi. Comme si le rituel en avait pris un petit coup. On avait désacralisé les crêpes. Comme on avait désacralisé la famille. Mais ça sentait toujours la cassonade, le beurre et la bière brune. Oui parce que dans les crêpes de Maman il y a de la bière. Et un peu de rhum (pas de clichés hâtifs s’il vous plaît…).
Aujourd’hui les crêpes on en fait plus beaucoup. Parce qu’il faut être tous ensemble sinon c’est pas rigolo. Et être tous ensemble c’est compliqué. Alors occasionnellement, quand on se croise chez Maman avec Lulu, quand le petit dernier est là aussi, quand on a quelques heures ensemble avant de rattraper chacun les derniers trains du dimanche soir je sors la poêle en fonte. Et parfois on réussit à négocier les crêpes en premier, sans la soupe. Mais on se fait toujours gronder parce qu’on met trop de cassonade. Certaines choses ne changent jamais. Et c’est tant mieux.
Ingrédients:
Pour 4/5 personnes
- 500g de farine
- 5 oeufs
- 3 c.S de sucre (blanc ou roux selon les goûts)
- 50cl de lait
- 20cl de bière (j’utilise de la ch’ti parce qu’elle s’y prête bien mais toute bière blonde ou brune fait l’affaire!)
- 2 c.S de rhum
- 80g de beurre (je prends du beurre salé car j’adore son goût dans la pâtisserie)
- une pincée de sel
Préparation:
- Dans un saladier verser la farine, le sucre et le sel en fontaine
- Verser les oeufs au milieu avec un peu de lait et mélanger
- Ajouter petit à petit le reste de lait, la bière et le rhum en mélangeant au fouet
- Au micro-onde faites fondre le beurre et ajouter le au mélange
- Laisser reposer 1h dans un endroit sec et sans courant d’air
- Quand la pâte a reposé rajouter un peu de lait pour liquéfier (environ 10cl à 20cl) et faire cuire les crêpes à la poêle (pour ma part j’utilise les bonnes poêles en fonte de grand mère qui font des crampes au poignet tellement elles sont lourdes mais c’est vraiment avec celles-ci que les crêpes sont les meilleures!)
A déguster tiède en saupoudrant de vergeoise blonde ou brune, ou tout autre garniture de votre choix!
Et à accompagner d’un bon cidre bio de Normandie ou d’une bonne bière évidemment 🙂