Crêpes à la châtaigne

“Je l’ai embrassé Molly avec tout ce que j’avais encore de courage dans la carcasse. J’avais de la peine, de la vraie, pour une fois, pour tout le monde, pour moi, pour elle, pour tous les hommes.
C’est peut-être ça qu’on cherche à travers la vie, rien que cela, le plus grand chagrin possible pour devenir soi-même avant de mourir.”
Voyage au bout de la nuit, Louis-Ferdinand Céline

Il y a quelques jours j’ai découvert Céline. L’auteur pas le sac à main. Bien sûr j’avais déjà entendu le nom comme ça, à la volée sur les bancs du lycée, mais d’un coup sans crier gare quelqu’un a cité ses mots et ça m’a interpellé. L’espace d’un instant, l’espace d’une phrase, je me suis dit “tiens, ce type a des choses à dire”. Alors je me suis penchée sur Voyage au bout de la nuit, et j’ai trouvé ça génial. Pas tout, non. Pas tout. Mais certains mots sonnaient comme des uppercuts, comme trop à l’étroit coincés entre les pages. Alors après ça j’ai eu envie de les rendre plus réels, je me suis dit que j’allais les libérer ces mots bruts, ces phrases trop étriquées, j’allais les encadrer, leur donner de l’espace et de l’air frais. J’allais les accrocher partout sur les murs de l’appartement.

Je me suis dit qu’il n’y avait pas que Céline d’ailleurs, que beaucoup d’autres mots méritaient de retrouver leurs lettres de noblesses sur les murs de ma chambre. J’en ai choisi plusieurs, des connus des moins connus. Il y a le Soleil des Scorta cela va sans dire, dans un cadre doré qui rappelle la Sicile. Le Petit Prince aussi parce qu’un mur sans Petit Prince c’est bien triste. J’ai aussi fait un peu de place pour Paul Eluard, Aragon, La première gorgée de bière ou En attendant Bojangles. Tant d’autres attendent encore, griffonnés sur des bouts de papier, qu’on les hisse tout la haut, et qu’on se les répètent en boucle comme une chanson douce.

Les mots m’apaisent. Comme un passage de témoin entre nous pour se dire qu’on a vécu les mêmes choses, parfois différemment, parfois de manière très similaire. Mettre des mots sur des émotions que d’autres ont ressenties avant nous et ont réussi à sublimer avec brio. Se dire que c’est exactement ça oui, que dis donc qu’est ce que c’est bien dit, j’aurai pas fait mieux. Trouver des réponses à ses questions aussi, et surtout aux questions qu’on ne se posait pas encore. Spontanément j’ai eu souvent tendance à me dire que rester seule sous le plaid avec un bouquin, c’était pas une bonne idée pour contrer la morosité. Surtout celle des jours de pluie et des dimanches soirs. Et puis petit à petit j’ai réalisé que parfois Dumas ou Spinoza c’est quand même très chouette. Alors depuis quelques mois j’ai rempli les étagères, la cheminée et même le piano de livres, qui n’attendent que mes yeux assidus.

Et comme ça ne suffisait pas j’ai commencé à les placarder sur les murs. Et à les mettre dans mes oreilles aussi. Des voix, des poèmes, des témoignages en veux tu en voilà. Comme un Edouard Baer en folie un lundi matin “Y a des lundis matins qui vous trahissent directs, qui vous chopent comme un uppercut, qui vous attrapent au foie. Ces matins-là faut y aller, faut se lancer. Prendre la vie comme un toboggan. Se dire que tu n’es pas seul sur cette planète. Être là avec l’autre, ne former qu’un. Un seul à deux, dans la tourmente et les éclats. Comme Michelle et Barack Obama.” (et ça c’est grâce à Yasmine d’ailleurs :)) 

Il y a peu je suis allée à un concert, un monsieur très très bien, plein d’imagination et au talent incommensurable (un peu hors sujet mais si tu as le temps, écoute, c’est pas mal du tout) et il disait plein de choses intéressantes. Et notamment qu’on avait tous besoin de clés, pour ouvrir ce qu’on avait dans le ventre. Bon c’était pas exactement les mots, mais l’idée est là. Et puis ça m’a frappé. Les clés j’en avais partout autour de moi. Un trousseau. Fait de papier. Parfois on cherche, comment faire, pour maintenir le cap, pour savoir même où est le cap. On cherche loin, au mauvais endroit, chez les mauvaises personnes. Et puis en fait c’est simplement là, sur un coin de table.

“Read 500 pages…every day. That’s how knowledge works. It builds up, like compound interest. All of you can do it, but I guarantee not many of you will do it” a dit Warren Buffet dans un article très éclairant (que je te conseille aussi de lire ici). Et il a raison. Tellement raison. Alors évidemment, quand tu gagnes des millions, le temps pour lire, tu le trouves plus facilement. Mais ce n’est pas une excuse.

Finalement bien souvent on s’éparpille, on cours à perdre haleine, dans des courses folles, parce qu’on a envie de vivre maintenant tout de suite. Et on ne sait pas bien comment, pas bien comment ne pas gaspiller ces folles années. On pense que se poser c’est renoncer, c’est lâcher prise. On veut des échanges, de la vitesse, de l’intensité, des émotions en pagaille. Alors on arrête de lire, on arrête d’écouter, on se dit qu’on aura le temps plus tard, quand on aura bien vécu. Fatale erreur. Grâce à une phrase à la volée, j’ai passé quelques heures avec Céline. Et ça valait bien une course folle.

Parce que d’après Céline avec les mots on ne se méfie jamais suffisamment. Et quand on ne se méfie pas, on tombe dedans et on se prend au jeu.

Est ce qu’on ne ferait pas des crêpes tiens, même si on a une semaine de retard on s’en fous. Faut-il vraiment une date pour manger des crêpes? Je ne pense pas.

A la châtaigne c’est bien meilleur. Et si elle vient de Corse vous avez tout compris.

Pour 4 personnes : 4 Temps de cuisson : 1 heure

Ingrédients

  • 400g de farine
  • 100g de farine de châtaignes
  • 5 oeufs
  • 3 c.S de sucre (blanc ou roux selon les goûts)
  • 70cl de lait
  • 80g de beurre (je prends du beurre salé car j’adore son goût dans la pâtisserie)
  • une pincée de sel

Préparation

  1. Dans un saladier verser les farines, le sucre et le sel en fontaine
  2. Verser les oeufs au milieu avec un peu de lait et mélanger
  3. Ajouter petit à petit le reste de lait, en mélangeant au fouet
  4. Au micro-onde faites fondre le beurre et ajouter le au mélange
  5. Laisser reposer 1h dans un endroit sec et sans courant d’air
  6. Quand la pâte a reposé rajouter un peu de lait pour liquéfier (environ 10cl à 20cl) et faire cuire les crêpes à la poêle (pour ma part j’utilise les bonnes poêles en fonte de grand mère qui font des crampes au poignet tellement elles sont lourdes mais c’est vraiment avec celles-ci que les crêpes sont les meilleures!)

Dégustez tièdes avec du chocolat fondu et des amandes, on ne change pas une équipe qui gagne…