“Tu n’es rien, Elia Ni moi non plus. C’est la famille qui compte. Sans elle tu serais mort et le monde aurait continué de tourner sans même s’apercevoir de ta disparition. Nous naissons. Nous mourons. Et dans l’intervalle, il n’y a qu’une chose qui compte. Toi et moi, pris seuls, nous ne sommes rien. Mais les Scorta, les Scorta, ça, c’est quelque chose.”
Le soleil des Scorta, Laurent Gaudé
Noël. L’aboutissement, le point d’orgue de l’année. Mon pilier. Chaque année les mêmes traditions, la même partition jouée à la note près, les mêmes nuances, les mêmes accelerando aux mêmes moments. Les mêmes “con anima”. Parce que oui de l’âme on n’en manque pas dans la famille.
Les bûches qui crépitent, les sablés étoilés aux zestes d’orange, toi qui n’est jamais prête parce que tu veux toujours être la plus belle pour nous. Et puis le sapin, les cadeaux sur le piano, le noeud papillon de Papy, celui qu’il ne met jamais sauf à Noêl.
Le dîner aussi, celui pour lequel on met un point d’honneur à ne rien changer. La macédoine de Papy, avec le rab en plus déjà prêt au frigo parce que tu sais que c’est ce que je préfère, les portes-couteau en verre, le lapin de Maman, les rires des cousines, le rouge à lèvre carmin qu’on ne met que pour les grandes occasions. La guitare, les chamailleries en tailleur sur le tapis de laine, les fruits confits, les truffes, le pont l’évêque.
Les madeleines, les biscuits aux dattes que personne n’aiment sauf Mamie alors on les fait quand même tous les ans, juste pour lui faire plaisir, les joues rosies, les cadeaux qu’il ne faut surtout pas ouvrir parce que depuis toute petite, Noel c’est le matin. Parce que sinon le Père Noel n’a pas eu le temps de passer.
La famille. Les engueulades. Les nuits dans le grenier à se raconter nos vies, en chuchotant pour ne pas se faire gronder. Les réveils aux aurores, les sauts sur le lit devant les vitres givrées, les courses dans l’escalier en chaussette (et les fessées qui vont avec). La rosée sur les champs, les chaussons polonais, le pain gâteau de Mamie, les confitures maisons et le thé trop fort de Papy.
Dans les rires et les bruissements de papier cadeau, déjà on sait bien que Noel c’est presque déjà fini, mais on essaie de ne pas y penser, parce que c’est trop dur de se dire qu’il faudra à nouveau attendre un an. Alors on profite, on fait comme si, comme si ces quelques jours passés ensemble ne prennaient jamais fin. Comme si la vie pouvait continuer ainsi, tous ensemble, comme coupés du monde, comme insouciants, comme inconscients et la Terre continuerait de tourner sans nous.
Mais bientôt il faudra se quitter, les rires se feront moins nombreux, moins forts, on enlèvera les rallonges de la table, et on éteindra doucement le feu. Bientôt on se serra fort, on se dira pour se consoler que très vite on se retrouvera à nouveau, que c’est pas dans si longtemps quand même. Que de toute façon Noel c’est une tradition, et que rien ne changera jamais, qu’on se retrouvera dans un an comme si on s’était quittés la veille. Mais au fond de nous on sait bien que non, que rien n’est plus fragile que cette apparente tradition, qu’en un instant tout peu s’écrouler.
Et c’est peut-être un peu ça aussi la magie de Noel, savourer l’éphémère. Et les truffes de Maman.
“Nous avons mangé, discuté, crié, ri et bu comme des hommes. Côte à côte. C’étaient des instants précieux, Peppe. Tu as raison. Et je donnerais cher pour en connaître à nouveau la saveur. Entendre à nouveau vos rires puissants dans l’odeur du laurier grillé.”
Le soleil des Scorta, Laurent Gaudé
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